Je suis / elle est

Volontairement bicéphale, qui n'aime pas les cases mais ne renie pas le passé, d'abord le sien- qu'elle travaille de façon intimiste, mais aussi celui de la grande Histoire- en réinterprétant à sa manière des thèmes classiques. L'espace qu'il soit contraint par une toile ou à l'échelle d'une ville est très vite devenu une autre de ses préoccupations, comme un hommage à celui qui fut au coeur de son mémoire, Wladislaw Lopusniak, conclusion de 4 années d'études à la Sorbonne. Enfin l'amour de la lumière la conduit dès qu'elle le peut à travers le globe.


UNE HISTORIENNE ME RACONTE

Anna Zsofia Kovacs, historienne de l'art, conservateur au Musée des Beaux-Arts de Budapest

 

Jeune artiste refusant toute catégorisation, assumant la diversité de ses influences (qu’elles soient héritées du passé ou nourries des pratiques actuelles), Claire Guyard Aschehoug se définit avant tout comme peintre tout en restant ouverte à d’autres modes d’expression, comme la photographie ou l’installation. Elle laisse s’exprimer dans ses œuvres une personnalité artistique forte, alimentée par une réflexion poussée sur ses sujets et les moyens de les mettre en œuvre.

 

Ses études avancées dans le domaine de l’histoire de l’art, qui l’ont menée jusqu’à une maîtrise à la Sorbonne, ont considérablement influé sur ses choix formels et ses thématiques picturales. Claire Guyard Aschehoug se confronte en effet volontiers aux grands genres classiques tels que le paysage, le portrait, le nu ou encore la peinture religieuse, choisissant souvent des grands formats qui laissent le champ libre aux aplats de couleur qui rythment ses compositions. Les années passées à l'école supérieur d'arts de Rueil-Malmaison ont également contribué à élargir le champ de ses recherches artistiques.

 

L’artiste, qui avoue ne pas aimer la fadeur des demi-teintes, opte fréquemment pour des tons vifs et contrastés. Ainsi, certains de ses paysages ne sont pas sans évoquer les toiles fauves. Les souvenirs, impressions visuelles récoltés au gré de ses voyages, notamment en Asie (Japon, Chine, Indonésie), viennent également enrichir son goût pour les tonalités fortes. Sa couleur est avant tout le rouge, dont elle sait explorer toutes les nuances, et qu’elle met souvent en valeur par des verts ou des bleus intenses.

 

Cette recherche d’un équilibre entre les teintes chaudes et froides, ce travail des surfaces par des oppositions de tons constituent une composante importante des œuvres de l’artiste et se retrouvent notamment dans ses portraits. Centrés sur sa famille, son entourage proche, ces derniers se distinguent par une approche très directe du modèle. Claire Guyard Aschehoug opte souvent pour un plan rapproché des visages, mettant en scène la profondeur des regards.

 

Tout comme ses portraits, ses paysages se focalisent souvent sur un sujet central, analysé de près, mis en valeur par un cadrage serré. Ainsi, l’artiste se concentre volontiers sur un arbre unique, observé au plus près de l’écorce, accentuant parfois la verticalité des troncs par un format étroit et montant, une composition dépouillée qui évoquent les arts asiatiques.

 

Sa récente suite de nus féminins nocturnes constitue à ce jour l’ensemble le plus riche et le plus abouti de son parcours. La série explore la crudité des éclairages électriques en alliant des modelés travaillés à des plages colorées franches et intenses. L’ensemble se décline en deux groupes distincts, dont l’univers formel et chromatique s’accorde à la personnalité et à la physionomie du modèle. Dans les deux cas, les surfaces unies des fonds sont réveillées par l’éclat presque pop de motifs appliqués au pochoir. La brillance des couleurs ne vient cependant pas édulcorer la frontalité des attitudes – ses modèles nous fixent directement, nous opposant un regard à la fois franc et fermé. Cette approche, qui refuse la provocation comme la psychologie (il s’agit bien de nus et non pas de portraits), laisse au spectateur la liberté d’appréhender librement leur présence, entre proximité et distance.

 


IL ÉTAIT UNE FOIS

J’étais enceinte. Un lac s’étendait devant moi et sur la rive, une barque sur le point de partir. Je décidai de monter. Après avoir traversé le lac, je fermai les yeux de douleurs. Je me réveillai, l’accouchement avait eu lieu. Se tenait devant moi un beau jeune homme avec un foulard noué autour du cou. Je ne m’en aperçus pas tout de suite mais je ne réussissais pas à voir ses yeux, je ne m’en aperçus pas tout de suite mais une corne d’un métal précieux, sans doute de l’or, avait poussé au milieu de son front. Une corne belle et forte.

Je chutai au milieu des entrailles de la Mère.

La seule route était sinueuse, étroite, abrupte, il lui arrivait même de disparaitre pendant plusieurs jours et je devais attendre qu’un passage se libère. J’avançais péniblement et à chacun de mes pas la corne laissait une trace, j’étais parfois obligé de tirer avec tout mon corps sur mon front pour pouvoir progresser. Puis un jour la route se fit lumineuse et droite, et grâce à elle, je rayonnais d’une joie intense. Enfin j’avançais sans difficulté, ma corne ne me gênait plus, au contraire elle était devenue mon alliée.

Je me réveillai, cet homme c’était moi.

 

Texte écrit dans le cadre de l'exposition Vos Chefs-d’œuvre dans l'espace Ma Galerie sous la direction de Samuel Le Paire.

Chaque auteur du catalogue était invité à porter un regard personnel et sensible sur une des 30 œuvres présentées.

Samuel Le Paire avait choisi pour moi l’œuvre de Jan Fabre, Chapitre II (collection privée, 2010)